Comment négocier son loyer commercial en temps de Covid-19 ?
Frappés de plein fouet par la crise sanitaire, de nombreux CHR doivent malgré tout assumer la charge des loyers commerciaux qui restent exigibles. Dans ce contexte, négocier avec son bailleur devient vital pour l'entreprise.
Frappés de plein fouet par la crise sanitaire, les CHR doivent malgré tout assumer la charge de leurs loyers commerciaux. Le Gouvernement négocie avec les grands bailleurs et a annoncé la mise en place d’un dispositif fiscal d’aide au paiement des loyers qui incitera les bailleurs privés à réduire leur montant. En attendant, pour faire face à cette situation, première chose à faire : se rapprocher de son bailleur, lui faire part de ses difficultés et proposer un arrangement. “Cela implique de préparer quelques documents démontrant la réalité de ces difficultés comme une attestation de baisse de chiffre d’affaires ou de perte d’activité et le refus de prise en charge par l’assurance perte d’exploitation”, précise Alexandra Marinakis, avocat chez Made Avocats.
Le plus facile est certainement l’obtention de délais de paiement et d’un étalement de la dette, même si cela impose à l’exploitant d’être pro-actif. Kim Quach, propriétaire du Cay Tam, un restaurant à thème à Aix-en-Provence et qui, en raison de la configuration de ses locaux, avait à faire à deux bailleurs distincts, en a fait l’expérience. “Chacun d’eux a accepté un étalement du loyer d’avril et un paiement différé pour celui de mai, ce que nous avons fait rapidement après la sortie de confinement”, raconte la restauratrice, qui n’avait jamais eu de dette locative jusqu’à présent et s’apprête à négocier une seconde fois.
“Une franchise, une réduction, voire une suspension de loyer, ces solutions sont même cumulables dans le temps, car en matière contractuelle tout est négociable, veut rassurer Julien Ayoun, avocat à Marseille membre du réseau Provence Avocats. Deux choses importantes : être force de propositions pour le bailleur et formaliser un avenant au contrat”, prévient-il.
Une grande disparité des situations
Lorsque le bailleur fait preuve de solidarité bienveillante, les parties peuvent facilement parvenir à un accord. Si la première réaction du bailleur se solde par un refus, il ne faut pas hésiter à revenir à la charge, parfois avec l’assistance d’un avocat. Alex Gecer, propriétaire de trois restaurants American Steak House à Saint-Brice sous Forêt (Val-d’Oise), Servon (Seine-et-Marne) et Gonesse (Val-d’Oise), a ainsi obtenu avec l’aide de son avocat une franchise de loyer d’un trimestre et une réduction de loyer sur un autre trimestre pour deux restaurants. “Chose révoltante : c’est notre bailleur le plus solide économiquement qui été le plus dur en négociation et duquel nous n’avons obtenu qu’une franchise d’un mois de loyer sur trois”, s’insurge le chef d’entreprise. Un exemple qui résume toute la complexité du sujet en raison de la grande disparité de situations tant au niveau des bailleurs que des preneurs.
Pourtant, trouver un terrain d’entente assurant la viabilité de l’entreprise exploitante est autant dans l’intérêt du locataire que dans celui du bailleur. Si l’un lutte pour la survie de son entreprise, l’autre subit l’insécurité économique de la crise et ne peut pas savoir par qui, quand et à quel prix il pourra remplacer un locataire défaillant. “Accepter de faire l’impasse à l’amiable sur une partie de son revenu locatif, c’est éviter des délais judiciaires pouvant aller de 4 mois minimum en référé jusqu’à un an et plus au fond, sans être certain d’avoir gain de cause, car, très engorgés, la tendance des tribunaux est de renvoyer les parties à la médiation ou à la négociation. C’est aussi peut-être éviter une mise sous mandataire had hoc, ou pire, une procédure collective qui gèlera toutes les dettes dont la dette locative”, explique Alexandra Marinakis.
Trouver les arguments pour convaincre le bailleur
Toute la difficulté et de trouver l’argument qui convaincra le bailleur. Pour la période allant de la mi-mars au 10 juillet, Brice de Puymorin, cofondateur des hôtels Ginto a proposé à ses bailleurs une annulation de loyer de 50 % et un étalement sur 12 mois en 2021 pour le solde. “Il s’agit d’une base de négociation, étant précisé qu’en dehors de cette période, nous nous sommes acquittés dans les temps de l’ensemble de nos loyers. Au-delà de cela, il devient urgent d’innover pour équilibrer la relation bailleur-preneur. Au lieu d’un montant fixe et immuable durant 9 ans, le loyer hôtelier pourrait être fixé à un pourcentage du chiffre d’affaires, chiffres d’affaires que nous communiquerions chaque mois à notre bailleur. C’est une manière indirecte de l’associer à l’activité économique de laquelle il tire son revenu locatif. Certes il participe à l’effort économique en période de crise, mais il sera récompensé lors du retour à la performance voire de sur-performance car son revenu n’est alors plus capé”, développe l’hôtelier.
Autre alternative : “Une clause de retour à meilleure fortune qui peut prévoir, au profit du bailleur qui a accepté de réduire le montant de sa créance, qu’en cas de rétablissement financier de l'entreprise, il aura droit à hauteur des sommes abandonnées ou pour une fraction d’entre elles, à un versement complémentaire”, suggère Baptiste Robelin, avocat associé chez Novlaw. “En cette période de grande incertitude, il est important de pouvoir raisonner en termes de seuil de chiffres ou de résultat plutôt qu’en terme de délai”, ajoute-t-il. Mais, là encore, toute la difficulté est de trouver un terrain d’entente. Georges Antoun, fondateur du groupe New Hotel, estime quant à lui qu’un seuil équivalent à 80 % du chiffre d’affaires de 2019, est le seul économiquement viable pour son entreprise. “La survie de nos hôtels passera nécessairement par les efforts de nos bailleurs”, s’alarme-t-il.
Source : L'Hôtellerie Restauration - 22 octobre 2020